Les Polars : texte

Pourquoi avoir travaillé sur les films de Stanley Kubrick, «The killer's kiss» et «The Killing»?

A l'origine je suis par dessus tout fascinée par les romans du tragique de la condition humaine où le destin l'économie, la société broient inexorablement les individus presque au delà de la volonté de leurs créateurs qu'ils s'appellent Faulkner, Thomas Bernhard , Cormack McCarthy , Claude Delarue, ou Raymond Carver.

Par leur intrigue, les polars jouent intrinsèquement sur les ressors du fatal, argent ou amour et permettent par leur genre d'explorer toute la violence apparente ou cachée, voire la sauvagerie que peuvent revêtir les comportements familiaux ou sociaux sous les yeux d'une société résignée.

Le cinéma m'a aussi profondément marquée :

Histoires tragiques,tension des personnages, solitude d'individus condamnés par une société prétendument policée et civilisée,

ambiances nocturnes propices à la fuite, à l'amour, à l'alcool aux enchainements et déchainements,

inspiration d'acteurs tels que Marlon Brando, ou Daniel D Lewis, d'actrices telles que Elisabeth Taylor ou Isabella Rossellini,

toutes ces images littéraires ou cinématographiques ont contribué à alimenter mon imaginaire .

Le polar est une fiction mais il permet à l'artiste contemporain de fixer le regard sur son temps, pour en percevoir non les lumières mais l'obscurité.

Grâce au polar, nous discernons la part obscure de l'humanité.

Le monde existe avec notre conscience de la violence, de l'injustice,de la cupidité qui incite à des comportements maffieux, de la mort, des destructions, qui émaillent notre actualité quotidienne.

Le polar accélère l'inéluctabilité des choses ; il les précipite et grâce à lui, nous recevons en pleine face ce que Georgio Agamben appelle :

« le faisceau des ténèbres qui provient de notre temps ».

«The Killer's kiss» est un film new-yorkais de 1955 où Stanley Kubrick fut à la fois producteur, réalisateur, directeur de la photo cadreur et monteur.

La totalité des toiles que j'ai dédiées à ce film a pour sujet une rixe dans un atelier de fabrication de mannequins..

J'ai appelé cette série «0.P.A. hostile». Une O.P.A. est une offre publique d'achat des actions d'une entreprise par une autre. Elle est hostile quand l'entreprise convoitée ne veut pas être achetée, par crainte de démantèlement. En cas de réussite de cette O.P.A. hostile, on entend que l'entreprise est décapitée, démembrée; certains employés « restent sur le carreau ».

Il m'a semblé que ce « massacre » cinématographique de mannequins pouvait être une métaphore de ces O.P.A. hostiles. Corps sans tête, membres arrachés, accumulation de membres entassés ou entrainés dans une chute sans fin sont à l'image de la violence de cette course aux profits financiers, au mépris de l'humain.

Les couleurs fluo participent à cette violence et renient ici leur connotation ludique;

« The Killing » est un film californien de 1956 en noir et blanc .

Selon moi, ce film est totalement jubilatoire par le rythme de son histoire –la planification minutée du braquage d'un champ de courses hippiques, par la performance des acteurs, jubilatoire surtout car au delà des archétypes de la tragédie classique, les personnages ont des caractères et comportements universels à la hauteur des comportements contemporains :

Cupidité, veulerie, naïveté, sentiment d'invincibilité sont les nerfs de ce polar. L'affaire Madoff et les escroqueries récentes en tous genres sont là pour nous rappeler l'actualité de cette fiction.

Je me suis appropriée des instants cinématographiques de ce polar dont les scènes tournées en plan rapproché, auraient pu, pour certaines donner prétexte aux titres classiques de scènes de genre : « l'ingénue », « la femme adultère », « la chute » ….que l'on pourrait qualifier de champs autonomes de l'art. Au spectateur-regardeur de s'amuser et d'y trouver ses références.

Chaque toile mise en scène est porteuse de sens comme d'obscurité, de vérité comme de mystère. Les circonstances sociales, le temps vécu appartiennent au spectateur et sont des pistes pour comprendre mon travail;

Dans cette série, j'ai délibérément choisi des plans qui renforçaient l'impression d'enlisement : barreaux, ombres grillagées, fenêtres à stores, cage viennent souligner plastiquement l'enfermement dramatique inconscient dont sont victimes les héros de ce polar et l'être humain très souvent.

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